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Notre demeure la terre : richesse et héritage culturel (Le sens de la terre 2° partie)
mardi 27 septembre 2016, par
Le sens de la terre en Afrique s’inscrit dans la logique de société, du collectif, de la tradition
Deux configurations différentes de l’homme
La comparaison entre sociétés modernes et non modernes tourne autour de deux configurations de valeurs opposées. Cette précision est nécessaire. En effet, pour la plupart d’entre nous, l’homme c’est l’individu, le sujet individuel pour lui-même. Or, pour les sociétés dites non-modernes c’est dans une grande mesure la société, l’homme collectif auquel le sujet particulier est référé. Nous appelons individualisme la première mentalité, « holistique » la seconde. L’holistique est tout ce qui se réfère à la totalité moralement supérieure aux individus, à l’universel.
L’Africain a une vision globalisante du monde
Pour lui, le moi est terme d’une relation nécessaire au monde (société et nature) ; la personne humaine reste en étroite connexion, dans un jeu de participation, de correspondance d’attaches cosmiques et sociales ; elle existe dans une réelle communauté ontologique avec la nature et la société.
Le passage, la transition que nous devons effectuer de l’une à l’autre n’est pas chose aisée, car, subordonner la tradition à la « rationalité » est vite fait. A ce sujet, nous avons une riche contribution de P. Meinrad Hebga dans une de ses thèses (La rationalité d’un discours africain sur les phénomènes paranormaux, Paris, l’harmattan, 1998).
Le sens de la terre dans la logique du collectif
Le sens de la terre en Afrique s’inscrit justement dans cette logique de société, du collectif, de la tradition. Nous pouvons distinguer trois catégories de terres. D’abord les terres appropriées, héritées des ancêtres ou terres ancestrales ; ensuite les terres « créées » ou acquises à titre personnel ; enfin, les terres non appropriées.
Les terres ancestrales se subdivisent en trois sous-catégories :
les terres d’habitation du village ;
les terres cultivées ou laissées provisoirement en jachère qui appartiennent aux membres vivants du village ;
les terres couvertes de végétations, qui sont métaphoriquement considérées comme les vêtements des ancêtres ou leurs maisons funéraires. Les ancêtres, il faut le dire, s’identifient à la terre et se confondent avec elle dans les notions de terre ancestrale. C’est ce qui explique la force des chefs des terres en Afrique. Leur pouvoir est reconnu, respecté et reste incontournable dans les villages.
(On peut schématiser par trois cercles ainsi : au centre, il y a les villages. Autour des villages se trouvent les champs. Autour des champs, il y a l’habitat des ancêtres et des esprits (monde mumineux), lieu de sécurité, de protection, d’unité, de cohésion et de fécondité).
La terre est divine et dotée de vie
En Afrique, la terre est divine et comme telle, elle est dotée d’une valeur intrinsèque qu’est la vie. L’homme loin d’en être comme « maître et possesseur » n’en constitue qu’une infime partie. En effet, la nature n’est pas considérée comme une réalité dominée que l’on peut soumettre à toutes les contraintes. Elle est peuplée de dieux, de génies, d’ancêtres, de forces occultes, dont il faut se ménager la bienveillance, car ces derniers sont capables de punir les abus. Il n’existe pas de conception profane de la nature. D’où cette recommandation du Grand Poète Birago Diop :
« Ecoute plus souvent, les Choses que les Etres, la Voix du Feu s’entend, entends la Voix de l’Eau. Ecoute dans le Vent le Buisson en sanglots : C’est le Souffle des ancêtres » (Birago Diop, poésie, souffle).
La terre : une propriété des ancêtres
Pour l’Africain, la terre appartient aux ancêtres qui l’ont léguée à la postérité. Comme telle, elle est un héritage commun. Elle est propriété du clan, et c’est le représentant attitré de celui-ci qui préside aux destinées de la terre. Ce représentant détient, au nom des ancêtres, le pouvoir de bénir ou de maudire la terre, car la productivité et la fertilité du sol dépendent des ancêtres. La terre est le symbole matériel de la paix, de la concorde et de la réconciliation entre les ancêtres et leur postérité, entre les vivants et les morts. Tout compte fait, face à la nature et à la création, l’individu n’est qu’un usufruitier du patrimoine clanique.
Un problème de développement
En ouvrant les terres à la culture, les ancêtres établissent pour eux-mêmes et pour leurs descendants un pacte avec les entités naturelles. Si par exemple, au nom du développement un Etat décide de faire un barrage qui nécessite le déplacement d’un village, il y a un problème (palabre). Lorsqu’un étranger arrive et vole aux gens leur terre, il ne leur arrache pas seulement un gagne-pain, mais aussi le symbole matériel qui assure la cohésion familiale et clanique. Du même coup, il démolit le fondement social, moral et économique de toute leur vie. Avec la terre, on leur vole leur organisation, on condamne leurs conceptions religieuses, et on dédaigne leurs catégories fondamentales de droit et de morale.
Beatrice Faye cic
Mise en forme CEAF&RI