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Léonie Ndihokubwayo, Femme combattante, femme soumise ? Droits des femmes au Burundi.
mardi 10 décembre 2019, par
La chercheuse Léonie Ndihokubwayo examine les droits et rapports hommes et femmes au sein de la famille et dans la société burundaise. Elle s’appuie sur son expérience de femme, mère et citoyenne à part entière. Ces rôles sont-ils conciliables ? A quelle condition ? Femme soumise, femme combattante ? Telle est la question...
Rapports entre hommes et femmes : complémentarité ou égalité ?
« La femme est une créature complexe qui sait aimer même sans être aimée, elle comprend vite, elle pardonne, sa soumission aux multiples défis est une arme invincible ».
En nous interrogeant sur les relations entre l’homme et la femme dans les familles africaines, nous sommes plus portée à nous demander si elles reposent sur les rapports de complémentarité ou d’égalité. Malgré les mutations survenues au sein de la famille africaine au cours de l’histoire, elle reste l’unité fondamentale de production, de la reproduction et de consommation des biens. C’est au sein de celle-ci que commence la vie, la division du travail selon le genre et les générations. La particularité est que le rôle joué par les femmes dans la production, la préparation des aliments, la reproduction biologique, l’éducation des enfants, résulte d’un large éventail d’impératifs culturels, où l’exploitation de la femme est comme institutionnalisée.
Georges Balandier note à ce propos : « La femme est partout présente, avec un pouvoir et une autorité qui lui est propre et un domaine ouvert à son initiative [1] ». Toutefois, elle reste considérée comme une étrangère à la famille du mari : « La femme reste ‘’ l’autre ‘’ proche, comme l’étranger reste ‘’ l’autre ‘’ lointain, et tous deux dangereux en raison de leur différence [2] ».
Une mineure à vie, un être sous-tutelle ?
Dans leurs combats multiples pour avoir une place dans la société, pour la plupart, leur identité continue à se référer à leur père (enfance), leur mari (âge adulte), leur fils (vieillesse). La route est encore longue…, mais la véritable identité de la femme est dans sa prise de conscience que sa fécondité biologique, intellectuelle, spirituelle, culturelle est éternelle.
Souvenir de jeunesse : un poème "A ma mère"
Il m’arrive de me remémorer des événements de mon enfance. Une fois, je me suis rappelée le poème de l’écrivain Camara Laye [3]. J’ai commencé à chanter comme nous le faisions en rentrant de l’école primaire afin de mieux mémoriser ce poème. Quand il décrit sa mère, il dit :
« Femme noire, femme africaine,
Ô toi ma mère, je pense à toi.
Femme des champs, femmes des rivières,
Femme du grand fleuve, ô toi ma mère.
Toi qui me portas, sur le dos,
Toi qui m’allaitas, toi qui gouvernas mes premiers pas,
Toi qui, la première m’ouvris les yeux aux prodiges de la terre.
Femme simple, femme de la résignation,
Ô toi ma mère, ma mère merci ! ».
Ces mots résonnent chaque fois que je vois les femmes au travail, peu importe lequel.
Femmes combattantes
Dans tous les pays d’Afrique visités dans mes différentes missions, du Cape au Caire, les femmes mènent le même combat. Elles se battent, nuit et jour, contre vents et marées, dans toutes les activités, sous le soleil accablant, sous la pluie torrentielle, les braves ne reculent pas, ô Dieu, quelle grâce tu les a comblées, même si la société ne l’apprécie pas à leur juste valeur, cela n’a pas d’importance, personne ne peut nier qu’elles sont le rocher sur lequel est bâtie l’humanité.
Sociétés patriarcales : persistance des lois discriminatoires
Et pourtant, les lois restent encore discriminatoires, les femmes ne possèdent rien en dehors de leur force intellectuelle et physique dont les fruits sont partagés avec tout l’entourage, proche ou lointain. Jean Marc Ela note à ce propos : "Au sein des ménages, les femmes sont les premières à réduire leurs consommations et à s’oublier elles-mêmes en faveur des enfants et du mari [4] ».
Héritage et droit à la terre ? Femme usufruitière ?
En Afrique en général, dans la majorité des sociétés patrilinéaires, la terre appartient à la lignée patriarcale. Ne pouvant pas hériter chez son père, les biens qu’elle acquiert avec son mari appartiennent d’abord aux enfants ; elle n’est qu’usufruitière.
Citoyennes à part entière. Pour quelles responsabilités ?
Malgré tant d’obstacles, certaines femmes parviennent à se faire une place honorable dans la société et à se suffire économiquement. À ce sujet, nous voudrions attirer l’attention de nos sœurs que celles qui jouissent d’une indépendance matérielle ne négligent pas leur rôle de mère et d’éducatrice. Elles devraient manifester leur fierté d’être identifiées comme telles : femme et mère, plus que jamais une moitié de l’humanité sans laquelle l’autre moitié ne survivrait pas longtemps.
Affirmer donc leur maturité par des actes responsables, c’est se reconnaître dignes de la place qu’elles réclament dans la famille et la société : être citoyenne à part entière. Comme le dit cette interviewée de R. Deniel :
« Quant à la place de la femme dans cette société en mutation, je me demande parfois ce qu’elle est : Bien sûr, beaucoup d’efforts ont été faits (…). Il y a des femmes députés, Ministres mais ça ne suffit pas. On a l’impression que l’homme continue à décider pour la femme et qu’il la traite en mineure. C’est à nous-mêmes de nous libérer, de revendiquer nos droits, de prouver que nous sommes mûres et que nous pouvons participer au développement du pays : nous ne sommes pas seulement épouses et mères, mais aussi citoyennes ! [5] ».
L’on peut se poser la question de savoir ce qui caractérise une femme responsable aujourd’hui : est-ce celle qui occupe de hautes fonctions politiques ou celle qui a un compte bien garni en banque, ou encore celle qui porte des titres académiques assez élevés ? La même interviewée poursuit : « C’est celle qui se sent responsable partout : dans son service, à la maison, dans l’éducation des enfants. Elle apprend aussi à responsabiliser les autres, à condition de ne pas les moraliser [6] ».
Solidarité pour et entre les femmes
Nous pensons qu’une solidarité en faveur des femmes et entre les femmes elles-mêmes est urgente afin de conscientiser les Etats sur l’importance d’éduquer les femmes, car « éduquer une femme, c’est éduquer une société » dit un adage populaire. Il s’agit d’un processus de longue haleine, auquel tout le monde est appelé à contribuer. Comme on le sait, dans l’ordre des phénomènes sociaux, la transformation n’est ni soudaine, ni totale, ni créative d’un changement immédiatement apparent. Cette transformation est la résultante de plusieurs processus cumulant leurs effets. Elle affecte de manière véritable les diverses instances de la société.
Dans notre pays, au Burundi, on surnomme la femme « l’être aux mille bras » de par son travail au quotidien. Les familles les plus épanouies et prospères sont celles qui ont formé et éduqué leurs filles.
La lettre du Pape S. Jean-Paul II, à deux mois de la Conférence mondiale de l’ONU à Pékin en 1995, illustre notre propos : « Partout où existe la nécessité d’un travail de formation, on peut constater l’immense disponibilité des femmes qui se dépensent dans les relations humaines, spécialement en faveur des plus faibles et de ceux qui sont sans défense. Dans cette action, elles accomplissent une forme de maternité affective, culturelle et spirituelle, d’une valeur vraiment inestimable (…) [7] ».
Maternité responsable : signe d’émancipation de la femme
Ainsi, la maternité responsable dans la vie d’une femme est un signe de maturité, voire de l’émancipation, et en même temps une responsabilité lourde. Celles qui la vivent ne manquent pas d’angoisse ni de peur, car il faut continuer une chaîne dont on ne maîtrise ni le début ni la fin, vous pouvez être mère d’un sauveur, d’un héros, comme vous pouvez être mère d’un criminel.
Ménie Grégoire nous montre combien l’attitude de la mère influence celle des enfants, tous les genres confondus :
« Les vraies mères n’ont pas attendu Freud, Adler et Jung pour deviner que, de leur attitude, dépendrait celle de leurs enfants - de leur équilibre, celui de leur filles - , la possibilité que d’autres auront d’aimer et d’être heureux (…) que la mère, première image reçue du monde, est un véritable écran entre le monde et soi-même ; qu’elle est, pour tout homme et toute femme, une référence permanente, les fils transposeront cette image ou la fuiront dans toute femme, les filles ne seront femmes qu’en se référant à elle, soit qu’elles s’identifient à l’image , soit qu’elles cherchent à la renier. Elles seront femmes ‘’ par rapport ‘’ à cette image et tendront à recréer les institutions primitives. De cette image, nul être ne se débarrasse jamais tout à fait, de sa mère ou de son absence, on porte les traces toute sa vie [8] ».
La maternité n’est donc pas une fin en soi, mais l’accomplissement pour la femme qui fait ce choix. Elle n’est pas un instinct, elle dépend fortement de l’évolution affective et psychique de la mère. Elle dépend aussi de son succès ou de son échec au cours de son épanouissement social, de sa réussite économique, de l’éducation qu’elle a eue en famille et à l’école. « Nous savons que ce n’est pas ‘’ une malédiction ‘’ d’être femme, mais une victoire criante sur la mort : un cadeau, une royauté. La vie nous est remise, demain, nous mourrons, mais la vie nous a appartenu en propre, elle n’a dépendu que de nous. Les œuvres humaines sont mortelles, mais, cette chaîne de vie à laquelle appartiennent toutes les femmes, est éternelle. C’est consciemment, et avec fierté qu’une femme doit l’assumer [9] ».
Pour conclure
La réalisation d’une femme ne consiste donc pas à prendre "la place" de l’homme, mais d’occuper sa propre place. Ce n’est pas en tant que substitut de l’homme que les femmes peuvent se réaliser pleinement. C’est plutôt leur capacité d’assumer les rôles qui leur reviennent en tout amour, en toute responsabilité, en toute fierté - d’être à la fois femme, mère, citoyenne, bref, une personne à part entière - que cette moitié de l’humanité posera un jalon d’avancée dans l’histoire, car la maternité défie toutes les différences et brise les murs que les humains construisent entre eux.
Léonie NDIHOKUBWAYO
Diplomate
Chercheuse en Sciences Humaines (philosophie et Anthropologie)
Mère et militante pour l’égalité des chances entre les hommes et les femmes
Mise en forme : éditrice CEAF&RI
Le 10/12/2019
[1] Georges Balandier, Anthropo-Logiques, Paris, Librairie Générale Française, 1995, p.70
[2] Georges Balandier, op. cit., p.82
[3] Poème "A ma Mère de Camara Laye, L’enfant noir, Paris, Plon, (1953) 1993
[4] Jean Marc Ela, Afrique, Irruption des pauvres, société contre ingérence, pouvoir et argent, Paris, L’Harmattan, 1994, p.93
[5] René Deniel, Les femmes des villages africaines, Abidjan, INADES-Éditions, 1985, p. 111
[6] Ibid, p.112
[7] Cité dans Pentecôte d’Afrique, n°44 ; 2001, p. 95
[8] Ménie Grégoire, Le métier de femme, Paris, Plon, 1965, pp. 202-203
[9] Ibid, p. 211