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Les crises en Afrique. Dieu est-il mort ? (Ière partie)

lundi 27 février 2017, par Albertine

Les crises africaines, au lieu d’être une occasion d’ouvrir des chemins inédits de renaissance, sont souvent maleheureusement source de violences multiformes. Pr. Paulin Poucouta donne quelques pistes aux communautés pour la sortie de crise.

Une crise comme moment décisif

Une société en crise est celle qui est arrivée à un moment décisif de son histoire. Bloquée de toutes parts, elle peut soit basculer dans la déchéance soit réaliser un saut qualitatif et s’ouvrir des chemins inédits de renaissance. Telle est l’Afrique aujourd’hui.

Malheureusement, ces crises sont souvent source de violences multiformes. C’est pourquoi, le second synode africain voulait interpeller la responsabilité des Africains dans l’avènement d’un continent de réconciliation, de justice et de paix .
Dans une Afrique qui, selon le mot d’E. Messi Metogo , se dit « incurablement religieuse », ces crises et ces violences posent la question de « l’enjeu de Dieu en Afrique », pour reprendre l’expression de F. Eboussi . Dieu n’est certes pas nié (du moins pas explicitement), mais il est fortement questionné : « Ne dort-il pas ? Est-il mort ? ».

Ces moments difficiles peuvent être l’occasion soit de se fabriquer des veaux d’or soit de redécouvrir le vrai visage de Dieu. Notre propos s’articulera autour de ces deux alternatives, sollicitant l’expérience culturelle, sociale et ecclésiale de nos peuples, ainsi que l’éclairage biblique. -----

Le veau d’or

Dans le désarroi de la marche dans le désert et en l’absence momentanée de leur guide Moïse, le peuple hébreu se fait ériger un veau d’or, tournant ainsi le dos à Celui qui les libère (Ex 32, 7-14). De même, dans nos crises, Dieu est nié et se meurt lorsque l’homme veut le façonner à son image, cède aux fondamentalismes et aux idoles de la violence.

Le serpent se mord la queue

L’étude du monde traditionnel peut donner l’impression d’une société parfaite. En effet, dans son fonctionnement, le système traditionnel est cohérent, global. Il permet de résoudre des problèmes existentiels, de restaurer l’individu et le groupe. Or, il arrive que la restauration recherchée n’ait pas lieu. C’est alors la crise. Les conflits mis à jour par le rituel thérapeutique s’aggravent. La guérison qui symbolise le rétablissement ne s’est pas opérée. Au lieu d’une régénération, on assiste à l’éclatement de la famille ou du village.
Dans de nombreuses sociétés traditionnelles, une figure sert à symboliser cette crise, celle du serpent qui se mord la queue.

C’est l’image d’une société à bout de souffle, d’une société qui se meurt :

- soit par suicide parce qu’elle a introduit en elle des éléments mortifères qu’elle n’est plus capable de maîtriser, faute d’antidotes efficaces ;

- soit par euthanasie, parce que consciemment ou inconsciemment, elle se laisse mourir ;

- soit par sclérose, incapable de se renouveler.

Ces sociétés en crise versent alors dans la dérision, signe de lucidité, mais aussi de fragilité, de scepticisme, d’impuissance, voire de fatalisme. Pire que la dérision, la crise peut emprunter les chemins multiformes de la violence et de la brutalité.
Mais ce regard socio-culturel ne suffit pas pour comprendre la crise et la violence en Afrique qui constituent également une question éthique et théologique. Elles posent la question de Dieu, invitent à un nouvel engagement et à un rapport toujours renouvelé à Jésus-Christ.-----

Dieu à l’image de l’homme

En effet, paradoxalement, le premier lieu où Dieu semble ne pas résister aux troubles qui frappent le continent, c’est bien le domaine religieux. En Europe, l’espace religieux se rétrécit ; « la mort de Dieu », ou plutôt son absence est devenue l’évidence. En Afrique, par contre, il s’élargit et envahit tout. Il est vrai que l’agnosticisme reste toujours un phénomène réel. Pourtant, le militantisme athée de l’ère du marxisme a disparu. D’ailleurs, beaucoup d’anciens camarades marxistes se sont reconvertis en prédicateurs de l’évangile.

Cette vogue du religieux se traduit également par la multiplication des Nouveaux Mouvements Religieux, nés en Afrique, en marge des Églises protestantes et catholiques ou bien venus d’ailleurs. Ils entendent combler le vide laissé par les Églises traditionnelles et les idéologies politiques. La déstructuration de la société amène à s’accrocher à ces groupes qui proposent sécurité et bonheur. Il en est qui sollicitent les religions traditionnelles et pharaoniques, l’islam ou les spiritualités asiatiques.

Cette ambiance religieuse peut aussi être un motif de joie, de paix et de stabilité pour le continent. Malheureusement, elle peut alimenter la violence. Des familles se trouvent perturbées, voire détruites par de nombreux gourous, toutes tendances religieuses confondues. De plus, le religieux peut devenir un refuge, une fuite des responsabilités familiales ou sociales.

Les crises sont également révélatrices de la tension entre foi et religion. Les deux sont certes indissolublement liés, mais également distincts. En Europe, on insiste sur la distinction. En Afrique, surtout dans les moments difficiles, on a plutôt tendance à les confondre, noyant la foi dans la religiosité :

« Il existe évidemment une religion chrétienne dans laquelle la foi chrétienne s’exprime, se transmet et se maintient vivante. Mais ce qui est propre au christianisme, ce n’est pas d’être une religion, ou d’être la seule vraie religion, ou la plus achevée des religions. Ce qui est propre au christianisme, c’est d’être une foi, d’être la foi en Jésus de Nazareth. La foi au Christ et la religion chrétienne sont inséparables, mais ne sont pas la même chose » .

En fait, en Afrique, Dieu ne meurt pas d’athéisme ou d’agnosticisme, mais des tentatives de récupération. Or, chaque fois que l’homme fait Dieu à son image, il retombe dans le péché de toujours comme nous l’enseigne de manière parabolique le livre de la Genèse (Gn 3). Il s’enferme dans un orgueil qui déstructure tout : l’amitié entre Dieu et l’homme se distend (Gn 3, 8s), l’homme veut dominer la femme (Gn 3, 16), Caïn tue son frère Abel (Gn 4, 1s), la corruption se généralise (Gn 6, 5s), la diversité linguistique devient un lieu conflictuel (Gn 11, 1s).

L’idolâtrie suscite en toute personne la volonté prométhéenne de privatiser Dieu. Alors, il devient pour son semblable une véritable bête féroce, selon les images apocalyptiques des livres de Daniel et de l’Apocalypse johannique. Les lectures fondamentalistes des Écritures y contribuent. (A suivre)

Paulin Poucouta

Institut Catholique de Yaoundé

et CEAF&RI